mercredi 24 septembre 2008

Session 1 : compte-rendu

Les notes publiées ci-dessous sont mes notes de séance. Je ne les mets ici que pour mémoire. Elles peuvent comporter des approximations par rapport à ce qui s'est dit, et peuvent y figurer quelques scories orthographiques...

P. Picard

Paul Fernandez : La question des élèves perturbateurs taraude l’Ecole de plus en plus. On parle d’instabilité, de troubles, d’hyperactivité… La liste des désignations est longue.
Ces troubles sont de plus en plus précoces, avec des pronostics d’évolution défavorables, avec des risques de marginalisation. Mais cela ne doit pas nous engager comme des « publics à risques », au risque de les marginaliser : un des effets positifs du rapport de l’INSERM, qui a été controversé (« Pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de trois ans », a été d’attirer l’attention sur ces très jeunes enfants.
En tout cas, plusieurs pays ont créé des dispositifs pour prendre en charge ces enfants.
Ces difficultés comportementales mettent en jeu le « contrat pédagogique implicite » de l’école, questionnent les modalités d’organisation de l’apprentissage. La perturbation est toujours adressée à l’autre, que ce soit dans l’agir ou dans la passivité. Certains explosent, mais n’oublions pas que d’autres se replient sur eux-mêmes… La relation à l’enseignant et à l’entourage est posée, elle met l’enseignant en difficulté. La dimension sociale, relationnelle, affective de la situation d’apprentissage est posée : apprendre, ce n’est pas seulement du cognitif.
On est donc devant un vrai problème d’éducation, voire de santé mentale, qu’il ne faut pas euphémiser ou éluder. Ces enfants ne peuvent trouver leur place à l’école, y nouer des relations positives, leur développement en est entravé. Il ne faut donc pas banaliser la question de ces difficultés, mais il faut les considérer avec précaution, en les reliant à leur contexte.
Pas d’angélisme, donc : ces enfants peuvent mettre en danger l’Ecole. Ils interrogent dont la manière de faire de l’enseignant.

L’action qui est mise en œuvre à Nevers, parce qu’elle nous fait travailler ensemble, nous permet de chercher, d’expérimenter, de mutualiser nos savoirs et nos champs d’expertise. C’est d’abord ce cadre qui nous intéresse : il est rare qu’on ait les moyens de faire un travail suivi.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation où on surmédiatise la médicalisation, sans chercher à utiliser les ressources que sont les personnels spécialisés. Si nous cherchons à faire à l’intérieur de l’Ecole, nous évitons de déléguer vers l’extérieur la prise en charge (même si la collaboration est parfois nécessaire). L’Ecole a les moyens de mettre en œuvre des réponses préventives pour accompagner les difficultés. Nous avons la responsabilité de rendre les moyens fonctionnels, d’évaluer les effets de ce qu’on met en place, de chercher à modifier les réponses que nous essayons de fabriquer.

Le contrat qui nous lie va être d’élaborer ensemble quels sont les besoins de ces enfants, quels questions ils nous posent, et comment on peut apprendre à répondre. Nous voulons nous mettre dans un dispositif très concret, très pratique, en nous accrochant à des savoirs théoriques et disciplinaires, dans un mouvement circulaire. Ne croyons pas que la théorie permet de tous solutionner. Chacun a donc une place : si les formateurs ont une place spécifique, c’est le terrain qui peut être en capacité de faire surgir le réel, d’aider à décortiquer des situations concrètes, dans une co-élaboration où chacun à son niveau d’expertise.

E. Gien : c’est le sens des choix que nous avons faits, donner du temps

A Gien : perturbés ou perturbateurs ? en ce qui me concerne c’est l’impact de leur comportement sur l’Ecole qui m’inquiète

Fernandez : vous avez raison d’insister sur la différence, mais ça nous renvoie aussi sur les étiquettes qu’on pose sur les enfants : difficultés ou troubles, la question n’est pas anodine.

J. Liegeois : ce qui est engagé, c’est qu’il est en difficulté dans un contexte donné, pas en soi. Notre idée est d’essayer de voir dans quelle mesure on peut rendre le contexte favorable pour que l’enfant, quelle que soit sa difficulté, puisse fonctionner, c’est-à-dire, à l’Ecole, apprendre et « jouer son rôle social d’élève » : bénéficier des heures d’enseignement, des équipements, d’une évaluation comme tous les autres. La logique de la cause de la manifestation de la difficulté n’a que peu d’efficacité pour vous. Par contre, ce sur quoi on peut avoir du poids, c’est sur ce qui se passe à l’Ecole. Nous avons une responsabilité, une action pour être force d’aménagement pour cet enfant là…

Quand on regarde les questionnaires que vous avez rempli, il y a des questions sur la pragmatique de l’enseignement (gestion de la classe, aménagement, positionnement, gestion de conflit…). En fonction de sa place, on peut y participer ensemble.
La seconde dimension tourne autour de la compréhension du comportement de l’enfant, pour mieux gérer le doute et l’incertitude, l’insécurité dans laquelle on est en tant que professionnel.
Le troisième aspect est autour des ressources humaines disponibles, quand on est au front, dans sa classe : sur qui je peux m’appuyer pour être co-solidaire ? Où est le réseau que je peux chercher ? Vous évoquez souvent la question des parents : comment co-travailler cette question avec eux, en le envisageant sous l’angle du droit, la question de leur parentalité (parent d’élève, et non famille) ? Comment permettre à l’enfant des auto-régulations, à prendre propriété de lui, ce qui lui est souvent impossible ? On ne peut pas le changer, mais on peut proposer des situations dont on espère qu’il va s’emparer. Souvent, on met en place des situations, mais on ne les explique pas, on ne les met pas en perspective, on ne les borne pas dans le temps…
Apprendre, c’est être seul avec sa feuille, bien souvent. Pour certains élèves, cette confrontation est difficile, anxiogène, c’est prendre conscience de sa finitude et de ses imperfections parce qu’on accepte de faire du lien : « c’est parce que je suis lié que j’accepte d’assumer ma solitude » et de poser les questions « suis-je aimable ? Est-ce que je vaux quelque chose ? Est-ce que j’ai de l’intérêt ? ». Etre confronté au manque et à l’impuissance, c’est une mise à l’épreuve dans la situation d’apprentissage : seul à apprendre, seul à enseigner. Quand un enseignant dit « Mathieu ne travaille pas quand je ne suis pas à côté », on peut comprendre qu’il a des difficultés à accepter d’être seul. Mais si on rentre dans la logique des besoins :
- « j’ai besoin de me sentir investi par l’autre » (dimension psychoaffective)
- j’ai besoin d’être en sécurité affective
- j’ai besoin d’être en sécurité.
Mais cette question n’est pas forcément première : c’est un moyen pour aller voir les aménagements. « Au fait, qu’est-ce que je propose actuellement à cet élève ? ». Elle va faire une analyse de la situation pédagogique, ce qui lui demande une capacité réflexive. Elle va se demande « est-ce qu’on est en hyper- ou en hypo (sécurisation, investissement…). Elle s’aperçoit alors que cet élève est hyper-entouré, hyper-protégé par des intervenants, un AVS qui fait qu’on est « tous sur lui »… Elle propose alors à Mathieu un plan pour lui permettre d’être seul avec lui-même pour apprendre : « tous les jours, je vais faire l’exercice devant toi, puis dans quinze jours vous le ferez tous les deux avec l’AVS, puis dans un mois tu travailleras ça dans un groupe de besoin, et alors on refera le point en décembre. ». Elle affiche son ambition, son expertise, elle borne dans le temps,

Ens : Le problème dans la classe, c’est de répondre en direct, sans avoir le temps d’analyser toujours autant qu’on peut…
RASED : la perturbation, elle vous prend à contresens, à contretemps, on a l’impression de ne plus avoir d’outils, de professionnalité, d’équipe, on se sent seul…

Fernandez : Ce que vous dites nous aide à comprendre qu’il faut sortir de la relation individuelle, de l’ouvrir à l’autre pour trouver des relais. Toujours plus d’un…
L’angoisse des enseignants, c’est d’accepter de ne pas savoir quelle est l’origine du comportement, de savoir qu’on n’est jamais sûr de pouvoir « tenir » ou de contrôler, d’être parfois débordé. Donc il faut penser des aménagements de notre cadre de travail qui évitent qu’on le passe dans le couloir…
L’expérience et les pratiques, vous les avez, mais ce qui est intéressant, c’est de les formaliser, de les mettre noir sur blanc, de les cadrer, de les contractualiser. Dans le quotidien, c’est très difficile, mais le but de cette action est justement de se dégager, se mettre à distance, regarder d’un autre point de vue, évaluer notre action en continu… Bref, se repérer.

A Gien : la réalité de la classe, c’est seul pour gérer le collectif classe. Quand le petit Johnny perturbe la classe dès le 11 septembre, il n’y a pas toujours toutes les clés dans le cartable de l’IEN pour régler la situation. Chacun bricole dans la souffrance professionnelle.

J. Liégeois : comment ne pas amplifier le sentiment d’insécurité de Johnny ? Quand je dis à mon fils « va prendre l’air » quand il monte an chauffe, il y a beaucoup d’implicite. Est-ce qu’on arrive à des aménagements possibles de cette nature dans l’Ecole ? Lorsque Farid, scolarisé en 4e ordinaire, entre dans le cours d’histoire-géo, l’enseignante propose des aménagements : deux pauses dans la matinée, un positionnement particulier dans l’espace… Néanmoins, elle n’est pas totalement en sécurité interne. Ce vendredi, de 15h à 16h, après le cours de maths, elle sait que ça risque d’être difficile. Elle propose un « outil » : « si ça arrive, je note l’événement dans mon cahier de bord, et ça sera traité en heure de vie de classe ».
Elle montre le rôle de l’écrit dans la persistance de la mémoire, qui permettra de s’y référer en cas de « pétage de plomb de niveau 3 » qui mettrait l’enfant « hors de lui », hors de la réalité. Elle lui donne des repères pour redonner de la réalité, elle restitue des repères spatiaux, temporels, disciplinaires. C’est déjà une dimension curative : quand bien même il cesse d’apprendre, je redonne les conditions de la continuité. En l’inscrivant dans l’heure de classe, elle replace la dimension collective, collégiale. Pas pour mettre la pression sur l’élève, mais pour insister sur la « rupture dans l’enseignement » en redonnant des éléments au groupe.
ens : « j’entends bien, mais quand l’enfant n’est pas disposé… On recentre l’intérêt sur lui… Pourquoi ne le fait pas penser lui ? »
JL : « votre responsabilité, c’est de présenter l’outil ».
IEN Clamecy : « j’ai face à moi des collègues de maternelle. Le trou, c’est moi qui l’ai. Comment transposer ça à Quentin, qui a l’âge de trois ans mordrait ses petits copains sans qu’il soit possible de raisonner, de lui faire sentir la souffrance qu’il faisait ressentir. Je n’ai pas trouvé de réponse ».
JL : quelle condition pour permettre à cet enfant de 3 ans de s’appuyer sur quelque chose ? Comment travailler avec l’enfant pour pouvoir faire quelque chose ? Quand on attribue à une enfant des compétences qu’il n’a pas (« tu as bien mangé » au bébé…), on fait le pari qu’il vont avoir des compétences. Une enseignante qui dirait « quand tu sens que ça monte, tu serres ton crayon très fort.. ; » agirait peut être comme du conditionnement, mais permet de fabriquer des alternatives…
PF : le premier principe, c’est de reconnaître la difficulté : en parler, en faire un objet qui appartient au groupe, anticiper les moments de crise : quel dispositif en cas d’incident ?

Psy : Est-ce qu’on pourrait penser le travail comme l’occasion de faire un point sur la trahison que peut représenter l’Ecole, pour certains élèves, lorsque les conformités ne sont pas attendues entre la maison et l’Ecole, lorsque l’Ecole est en injonction de réussite, au risque que l’Ecole devienne folle, avec des professionnels seuls, qui se cherchent…
IEN : anticiper, et non jouer les pompiers, c’est pour moi un sujet de préoccupation. De même, sortir de l’implicite des apprentissages, du « devenir élève », comment faire pour que l’Ecole ne soit pas un lieu d’implicite, si on travaillait là dessus, on pourrait avancer.

Après-midi : points de repères pour l’action

PF : on rentre dans l’échange, les expériences sont porteuses de sens, il faut qu’on dégage quelques axes méthodologiques de notre travail, et faire des choix (5 points) :
- avoir une approche des troubles pluraliste et multifactorielle. Pas d’approche dogmatique, idéologique. Pas de hiérarchie de modèle, aproche pluridisciplinaire. Cf Morin « une pensée réductrice conduit à des actions mutilantes »
- La question de l’étiologie (l’origine des causes) n’est pas déterminante. Elle est souvent sans réponse, entre les données biologiques et environnementales. Les débats sont posés, mais n’aident pas beaucoup l’Ecole. Ce qui nous intéresse, c’est la question des processus déstabilisants de la conduite, relatifs et dépendants du contexte (aggravation ou re-stabilisation)
- La difficulté constitue une organisation et une désorganisation de la conduite. Elle présente plusieurs degrés, des formes différentes : de « l’instabilité normale » aux troubles psychopathologiques, le repérage de la nature et de l’importance des troubles est très difficile, d’autant plus que l’enfant est jeune. Mais quelles que soient ses origines, la difficulté comportementale est adaptive. On ne peut éluder la dimension symbolique du trouble. On ne peut donc pas normaliser ces troubles : ces enfants se sont construits avec des failles, des accidents (Lévine). Donc, l’évaluation ne peut être faite qu’en s’appuyant sur toutes les ressources disponibles.
- L’Ecole doit donc dire comment elle peut se positionner par rapport à ces enfants et ses parents : elle peut renforcer le déséquilibre et le mal-être si elle ne répond pas de manière assez individualisée ou adaptée. Au contraire, elle peut être structurante quand elle peut définir des perspectives de progrès. La dimension scolaire peut être structurante pour ses enfants, y compris du point de vue psychique.
- La réponse n’est donc pas individuelle, en se repliant sur les enjeux de la relation, qui peut toujours êtres saturée, en situation d’emprise ou de risque d’escalade. Il faut donc trouver des relais, des instances tierces, des possibilité de distanciation, des appuis dans la complémentarité des professionnels de l’Ecole. La première contenance est donc institutionnelle, et représente une garantie pour l’élève et l’enseignant. Soutenir l’enseignant, c’est lui permettre de trouver des sécurités pour lui-même.

JL : je voudrais faire la différence entre la crise et l’urgence : les difficultés comportementales font qu’on cherche toujours à trouver des réponses rapides. Mais du coup, toute l’école, tous les professionnels, voir les associations ou la mairie, monte en puissance. Le débordement de l’enfant fait déborder l’institution sur ses zones imparfaites. Le problème devient institutionnel, et on doit d’abord soutenir l’institution pour qu’elle fasse son travail. Les « endroits à consolider » peuvent être liés au pilotage (y-a-t-il un pilote dans l’avion ?), de la communication (« les décisions sont prises avant qu’on nous réunisse »), de considération (« dans cette école, l’agglomération entre les instits ne se fait pas bien, les ATSEM se sentent mal considérées… »). Dans ce cas, la situation de Corentin devient un «prétexte »… Donc, le levier n’est parfois pas tout à fait où on pense…
Souvent, quand l’institution n’arrive pas à régler le problème, il l’éjecte : on déplace, on sort. Mais quand ça n’est pas assez élaboré, ça peut se payer au prix maximal : congés, turn-over

Ateliers :
- individuel : Ce qui se passe déjà d’intéressant, et ce vers quoi j’aimerais aller (10 mn)
- par deux qui ne se connaissent pas trop : accompagner l’autre dans sa formulation (10 mn) + Inversé (30 mn en tout)

Pour la prochaine fois : travailler sur les micro-projets dans les écoles, en faire part au groupe...